Chine - De l’extinction de la corruption ?

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Pour que le peuple vive mieux, la Chine de Xi Jinping a déclaré une lutte sans concession contre la corruption. Une législation maximaliste a permis d’engager la « lutte contre les tigres » (la hiérarchie du Parti), la « chasse aux mouches » (les petits fonctionnaires et la corruption au quotidien) et la « chasse au renard » (les suspects réfugiés à l’étranger). Les résultats sont là, et depuis 2012, 4,44 millions de délinquants déférés devant la justice. On peut l’espérer, d’ici quelques années la Chine pourrait être qualifiée de pays peu corrompu.


FAITS


Concluant avec véhémence son rapport au XXe Congrès, Xi Jinping Jinping a déclaré « La corruption est le cancer le plus grave qui soit, celui qui porte atteinte à la survie et à la combativité du Parti. Tant que le terrain et les conditions favorables à la corruption existeront, le combat contre la corruption ne devra pas s’arrêter et la trompette guerrière devra continuer à résonner. Nous adopterons la tolérance zéro à l’égard de la corruption et de ses auteurs Les cas de corruption où sont imbriqués le pouvoir politique et le pouvoir de l’argent de mettre fin à la connivence entre les hommes politiques et le milieu des affaires, en s’assurant que chaque coupable soit puni sans la moindre indulgence. »

 
ENJEUX


La Chine est un pays assaini, la corruption est minimisée.

Pour Xi Jinping, l’enjeu est l’édification intégrale d’un pays socialiste moderne et le grand renouveau de la nation chinoise.


COMMENTAIRES PROSPECTIFS


Si la corruption a toujours été présente en Chine, elle est devenue insupportable après l’ouverture du pays à l’économie de marché au point qu’en 2012, Hu Jintao constatait : « La corruption devenue systémique peut entraîner la chute du PCC et de la République populaire de Chine. » Cinq ans plus tard on en était au même point, Xi Jinping en était toujours à déplorer que la corruption fût la plus grande menace qui pèse sur le Parti. »
 
2022, le ton est tout autre. S’adressant explicitement aux délégués du parti, Xi Jinping rappelle que « la nature même du PCC qui l’oblige à se réformer car il a en charge les intérêts fondamentaux du peuple chinois. » Il ne doit jamais représente les intérêts d’aucun groupe d’intérêts ni d’aucune classe privilégiée. En revanche, il doit avoir le courage de s’attaquer aux puissants qui ont failli plutôt que de laisser à l’abandon 1,4 milliard de personnes. Le Parti communiste est fidèle à lui-même quand s’ouvrent les campagnes de « lutte contre les tigres », de « chasse aux mouches » et de « chasse au renard ». Et il montre ainsi au monde ce que sera le PCC dans la nouvelle ère.
 
L’organisation de la lutte
Pour combattre, il fallait- doter la Chine d’arme d’armes appropriées. C’est chose fait le 20 mars 2018 quand est votée la « Loi sur la supervision ». Elle crée une agence centrale de lutte contre la corruption, la Commission Nationale de Supervision, la CNS, et place tous les services de lutte sous son autorité. La CNS enquête sur les manquements des fonctionnaires de l’État, des gestionnaires d’institutions publiques, des directeurs d’entreprises d’État. Nul ne lui échappe, fût- il membre du PCC1. La nomination à sa tête de Yang Xiaodu, membre du Politburo et proche de Xi Jinping est un signe indéniable de l’autorité qui lui est conférée1.
 
En 2021, la compétence de la CNS a été étendue en direction de la société civile pour qu’elle puisse instruire et sanctionner la corruption active. Les entreprises peuvent être inscrites sur des listes noires restreignant l’accès au marché. C’est une évolution importante des actions répressives qui ne se trouvent plus seulement circonscrites aux pratiques délictueuses des agents publics.
 
Par ailleurs, sous l’autorité de la CNS, les provinces, les régions, les municipalités relevant directement du gouvernement central, les préfectures instituent des commissions de surveillance décentralisées. Une décentralisation de la répression, un changement d’échelle qui implique la constitution d’un réseau d’agents répartis sur tout le territoire. Des formations « d’inspection de la discipline », à présent une spécialité majeure dans les enseignements du droit leur sont destinées dans nombre d’université.
 

Les pouvoirs d’enquête de l’agence sont exorbitants. La Commission peut exiger des individus et des organismes qu’ils fournissent des preuves et peut les placer sous surveillance électronique. Les suspects peuvent être détenus jusqu’à trois mois (prolongeables dans des cas exceptionnels de trois mois supplémentaires). Leurs avoirs peuvent être saisis, mis sous séquestre ou confisqués. On relève que la loi fixe jusqu’au niveau du détail les procédures d’enquête pour s’assurer de leur rigueur mais également de la légitimité des poursuites pour éviter de trop probables débordements2.
 
Les résultats sont là
L’action répressive est à la mesure du fléau à éradiquer. Depuis 2012, environ 4,52 millions d’enquêtes auraient été diligentées et 4,44 millions de délinquants déférés devant la justice ; des chiffres à rapporter aux effectifs du Parti, 96 millions de membres. Parmi eux : 553 vice-ministres dans l’administration centrale, 25 000 titulaires de postes de direction dans des départements ou équivalents, et 182 000 fonctionnaires au niveau des comtés3. La « chasse au renard » est elle aussi fructueuse  de 2014 à mai 2021, 9 165 individus réfugiés à l’étranger d’entre eux ont été extradés de 120 pays, et plus de 20 milliards de yuans (2,9 milliards de dollars) ont pu être récupérés.
 
L’action ne faiblit pas, si bien qu’au cours du premier semestre 2022, environ 1,75 million de plaintes ont été reçues. Environ 273 000 fonctionnaires ont reçu des sanctions administratives et 227 000 ont été sanctionnés par le Parti4. Ces actions de masse relèguent au rang d’anecdotes destinées à impressionner le peuple, la mise en vedette par la presse de la condamnation de hauts dignitaires du Parti. Parmi d’autres : Fu Zhenghua, ministre de la Justice, Sun Lijun, vice-ministre de la sécurité ou encore M. Tong, secrétaire du Parti communiste chinois de Sanya (sous-préfecture de 690 000 habitants) qui a pu accumuler jusqu’à plus de 40 millions d’euros de pots de vin. pour 274 millions de yuans (41,07 millions de dollars de pots de vin). Tous ont été condamnés à mort, une peine commuée en prison à vie.
 
On s’en est pris aux puissants avec cette conséquence inattendue : l’effondrement des revenus du segment VIP de l’industrie du jeu de Macao, réduits des deux tiers, alors que les autres segments ne se trouvent pas touchés5.
 
Vers une transformation de la société
Initialement centrée sur les dirigeants, les gestionnaires du secteur public, la lutte contre la corruption s’étend à présent à toute la société. Xi Jinping l’affirme « Le but ultime de la lutte contre la corruption est de faire en sorte que le peuple chinois puisse vivre mieux. »
 
C’est la vénalité au quotidien qui doit être éradiquée lorsqu’elle touche à ce qui compte pour les familles et les plus faibles : les moyens de subsistance, l’éducation, la réduction de la pauvreté. Xi Jinping va jusqu’à écrire : « Nous punirons résolument les « mouches » (les petits fonctionnaires corrompus ;  nous irons jusqu’à sanctionner leur famille : conjoint, enfants et l’entourage proche. » Témoignant de la détermination de la CNS : sur les affaires liées à la réduction de la pauvreté (sans doute dans les campagnes), ce sont environ 300 000 procédures qui ont été engagées8
 À ces campagnes, le public est associé par une série télévisée intitulée « Tolérance zéro », une production annuelle très appréciée du public. Elle dénonce la perversion et l’opulence des membres dévoyés du Parti. Comme il se doit, ils font leur autocritique. Ils confessent comment ils ont abusé de leur pouvoir et accumulé d’énormes richesses. Par ailleurs, pour ne pas déroger aux traditions, la population est invitée à dénoncer les personnels corrompus, et elle n’y manque pas. De janvier à septembre 2021, plus de 2,84 millions de pétitions, lettres et dossiers ont été adressés aux autorités de la lutte contre la corruption6.
 
Comment apprécier ce bilan alors que d’un côté il fait part belle aux annonces démagogiques institutionnelles et qu’à l’opposé certains en Occident ne voient dans ces campagne qu’un moyen d’éliminer des masses d’opposants ?  Indéniablement elles font progresser la société chinoise Mais à que prix ? Ne devrait-on pas s’alarmer de ce qu’elle a d’excessif quand elle appelle à la délation, et craindre qu’on puisse retrouver en elle ce que fut la campagne des cent fleurs ou les débuts de la révolution culturelle.
 


Il n’en demeure pas moins que ce qui a été entrepris et obtenu constitue un édifice politique solide. Sauf évènement majeur, il devrait encore s’affermir. Si bien qu’à l’entrée dans les années 2030, sans que la corruption puisse un jour être totalement éradiquée, (elle est indissociable de la personnalité de trop d’hommes), la Chine pourrait être qualifiée de pays peu corrompu, comme il en est aujourd’hui du Japon, ou de Hong-Kong.  Et ne peut-on pas déjà tenir pour vrai que cette campagne globale qui balaie le Parti, l’État la société sera une, sinon la, caractéristique des mandats de Xi Jinping ?
 
Edouard Valensi, Asie21
edouard.valensi@gmail.com

(1)   China’s New Anti-Corruption Agency Will Wield Broad Powers ? Morrison Foerster, 22/03/2018
(2)   Supervision Law of the People’s Republic of China, extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/chn202783.pdf,
(3)   China Focus : China’s anti-corruption endeavor yields tangible results in past decade, Xinhua, 22/10/2022
(4)   China Focus: China’s anti-corruption endeavor yields tangible results in past decade, Xinhua, 19/09/2022
(5)  China’s anti-corruption crackdown significantly affected Macau’s VIP Baccarat, according to new study, yogonrt.com, 22/10/2022
(6)   Top anti-corruption group meeting stresses zero tolerance for graft, Global Times19/01/2022

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