Chine - Jusqu’en 2050, partout des chantiers

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Tout n’est pas parfait en Chine. De récentes publications officielles chinoises rendent compte d’insuffisances criantes dans les réseaux de communications ferroviaires et routiers du pays. Hors des provinces les plus développées, la Chine reste à construire. Certes, elle va pouvoir compter sur un réseau d’autoroutes, qui structurera le pays – en 2023, c’est l’équivalent du réseau français qui est mis en service. Mais à côté, c’est le vide. Des routes nationales à deux voies, équivalentes aux départementales françaises, et des communes, par milliers, jusqu’à des villes de 100 000 habitants qui demeurent très difficilement accessibles. Le gouvernement chinois en convient, il faudra attendre 2050 pour que tout le territoire soit doté d’un réseau de communications comparable aux réseaux occidentaux. Il faut en prendre conscience. En 2024 deux Chine cohabitent encore : l’une des hautes technologies de la grande industrie, de la défense, au second rang mondial, et l’autre, le pays intérieur qui peut encore se révéler proche de la Chine d’antan.

FAITS


Le 28 février 2024, Li Xiaopeng (李小鹏)), ministre des Transports fait un point sur les programmes de développement des infrastructures de transport chinoises avec des annonces de nouvelles liaisons, des chiffres déclinés jusqu’au niveau des régions qui permettent d’appréhender un aspect inattendu de la réalité de la Chine : un pays qui doit encore se doter de voies de communication d’une nation moderne1.


ENJEUX


D’ici 2050, disposer du réseau de routes d’un pays évolué.


COMMENTAIRES PROSPECTIFS


La Chine ne s’en cache pas, le pays est loin de disposer des voies de communication routières et ferroviaire d’un pays moderne, le site Internet du ministère chinois des Transports2, sans trop de dissimulation, en rend compte.

Les réseaux nationaux tels qu’en 2023

  • Avant que la route ne prenne le dessus, ce sont les chemins de fer que la Chine met en avant comme moyen privilégié de communication [tout comme la France jusque dans les années 1960]. Elle se flatte de pouvoir compter sur le plus grand réseau ferroviaire au monde : 159 000 km, dont 40 000 parcourus par des trains à grande vitesse3.
  • Pour les routes, rien de semblable. Partant de rien il y a 50 ans, les réseaux routiers sont encore loin d’être ce que l’on s’attend à trouver dans un grand pays. Pour parer au plus pressé, le gouvernement a donné la priorité aux autoroutes, et laissé aux provinces le développement des réseaux annexes. Beaucoup reste à faire.
    • Fin 2022, le kilométrage des voies rapides chinoises (comprendre d’autoroutes) en service a atteint 177 000 km4. Un chiffre que l’on peut rapprocher des 75 000 km5 d’autoroutes de l’Europe des 27.
    • En revanche, les autorités chinoises se font très discrètes lorsqu’elles évoquent les routes nationales, les highways, en réalité des routes à deux voies qui s’apparentent à des routes départementales françaises. Des routes que Pékin considère comme des réalisations de premier plan et qu’elle présente comme exemplaires.
  • Les voies aériennes. Selon le ministère des Transports :
    • plus de 620 millions de passagers ont emprunté les lignes aériennes chinoises en 2023 ;
    • ils ont utilisé 259 aéroports ouverts au trafic passager, parmi lesquels 38 dont le trafic annuel dépassait 10 millions d’usagers.

      Pour servir de référence, en France :
    • 180 millions de passagers pour 40 aéroports en territoire métropolitain faisant état d’un trafic significatif ;
    • 5 d’entre eux accueillaient plus de 10 millions de passagers.

      Le trafic aérien chinois n’en est encore qu’à ses débuts.

La réalité des régions
On ne peut cependant pas se contenter de ces vues globales. La réalité du pays ne peut se percevoir que si l’on scrute l’état des provinces. Le site China Highway Network6 rend compte des programmes routiers en cours et en projets, et inclut les actes de la « Conférences sur le travail dans les transports » qui donnent des indications précises sur les programmes des 23 provinces (Taïwan est l’une d’elle).

La carte des réseaux des autoroutes et des routes nationales laisse entrevoir les disparités du maillage suivant les régions.

Les réseaux d’autoroutes et de routes nationales chinoises (source : ministère des Transports)

Lorsque l’on parcourt les 4 000 km qui séparent Fuzhou, capitale du Fujian, de Kashi dans le Xinjiang, tout peut changer, et les régions périphériques restent isolées. Les comptes rendus officiels révèlent que chaque région, avec un budget propre, développe des réseaux secondaires raccordés au réseau national, en particulier aux autoroutes (Cf. encadré 1).

Hors du voisinage des grandes métropoles et des autoroutes, ces réseaux se révèlent très insuffisant. Dans leur ensemble les routes sont à deux voies avec un maillage lâche, et des agglomérations de 100 000 habitants peuvent rester difficilement accessibles. Des insuffisances insupportables dans un pays qui se veut une grande nation.

Des services de transport au beau fixe
La première finalité des réseaux de communications chinois est le transport de marchandises qui constitue une infrastructure logistique aux dimensions d’un continent.

Selon les statistiques du ministère des Transports, 54,75 Mds de tonnes de fret ont été acheminées en 2023, en progression de 16,9 % depuis 2019, l’année de référence antérieure au covid :

  • par route : 40,34 Mds de tonnes ;
  • par voies navigables : 9,37 Mds de tonnes. Avec une part modale de 17 %, près de trois fois supérieure à celle de l’Europe (6 %), le transport fluvial est en pointe ;
  • par chemin de fer : 5,04 Mds de tonnes. Un trafic qui ne progresse que de 1 %. Il se réduit à des convois de vrac tels que le charbon, les céréales, les engrais, etc.

Le transport de passagers progresse constamment pour atteindre 61,25 Mds de voyages en 2023, une moyenne de 4,3 trajets annuels par personne.

Les services de messagerie prospèrent. Jusqu’à la porte des foyers, les entreprises de transport express ont traité 132 Mds de colis en 2023, soit une moyenne de 93 colis par habitant. C’est un record mondial. Les Européens ne reçoivent que 13 articles en moyenne par année, l’Allemagne culmine avec 46,6 envois reçus. Pourquoi cette singularité ? Les péripéties de l’histoire de la Chine font qu’aux coins des rues, les boutiques restent peu nombreuses, si bien que, le niveau de vie progressant, une logistique de détail qui permet de commander à distance s’est imposée.

Pendant de longues années encore, la Chine devra se structurer
La présentation sommaire des réseaux de communications de la Chine en a fait apparaître le caractère disparate : un réseau d’autoroutes spectaculaire, mais en aval, une Chine très médiocrement structurée. Elle en a conscience. Il lui faut impérativement progresser, et elle y met le prix.

Sur tout le territoire d’innombrables chantiers sont programmés pour construire « une nation de transport puissante ». Un concept de transport global, intelligent et vert qui, selon le ministre des Transports, « s’inspire de la pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise pour une nouvelle ère ».

Le quadrillage ferroviaire de la Chine se poursuit, et ce n’est pas par demi-mesures. En 2023, 2 776 km7 de voies ferrées à grande vitesse ont été ouvertes à la circulation des TGV, autant que la totalité du réseau français, 2 735 km8.

Les routes futures sont dessinées dans le rapport « Planification du réseau routier national », rendu public le 12 juillet 2022. Il expose comment va évoluer le réseau routier national jusqu’en 2035 pour atteindre environ 460 000 km, environ 2,4 % du PIB lui étant affectés9.

L’ossature centrale, un réseau national d’autoroutes, maillées, structurantes, composé de :

  • 7 lignes radiales partant de la capitale,
  • 11 lignes verticales nord-sud,
  • 18 lignes horizontales est-ouest,
  • 6 lignes périphériques.

Devoir s’étendre sur des espaces géographiques difficiles impliquera la multiplication d’ouvrages d’art spectaculaires, que la Chine normalisera afin d’en industrialiser la construction. À ce réseau sera associé l’ensemble des routes nationales qui devra assurer un « service de transport de base », les villes de moindre taille, les villages ne restant accessibles qu’en empruntant des voies secondaires.

On sera encore loin d’une totale fluidité. Aussi, le vice-ministre de la Communication, lucide, va jusqu’à admettre : « Ce n’est qu’en 2050 que le réseau routier parviendra à s’étendre sur 4 millions de km avec des caractéristiques comparables à celles des pays développés ».

Ainsi, la seconde puissance mondiale tant pour son économie que par son influence à l’international, est un pays qui reste toujours en construction. Pour de longues années encore, dans un même espace, deux Chine vont continuer de cohabiter :

  • une Chine rayonnante, celle des technologies, de l’industrie, et des sciences de plus en plus présentes, donnant à la Chine et à son armée la seconde place dans le monde ;
  • une Chine intérieure, qui s’efforce de rejoindre les nations occidentales, qu’il s’agisse des infrastructures, mais aussi des services que la nation doit assurer aux citoyens tout au long de leur vie. La santé et les services, des services sociaux qui garantissent un minimum de dignité et peut être même, on doit l’espérer, à un lointain horizon, des espaces de liberté.

    Edouard Valensi, Asie21

  1. China expands transport network to facilitate high quality development, Xinhua, février 2024  
  2. Ministry of Transport of the People’s Republic of China, https://www.mot.gov.cn/zhengce/
  3. Le Grand Continent, https://legrandcontinent.eu/fr/2022/12/12/le-reseau-ferroviaire-a-grande-vitesse-chinois/, décembre 2022
  4. http://french.peopledaily.com.cn/Economie/n3/2023/1124/c31355-20101794.html
  5. Statistics | Eurostat
  6. China Highway Network, https://www.chinahighway.com/spec/?id=65403305
  7. https://french.news.cn/20240109/c773ddfb28164d4097dbea5bf5373327/c.html
  8. https://fr.statista.com/infographie/22122/plus-grands-reseaux-ferroviaires-a-grande-vitesse-au-monde-lgv/
  9. China to build 461,000 km of highways by 2035, world-class highway network by 2050, Global Times, 12/07/2022


Encadré 1
À chaque province son réseau


Chaque province est singulière, une personnalité, une géographie particulière, et donc un réseau de communication propre. Pour en apprécier la diversité sans qu’il soit nécessaire de s’attarder sur toutes, il suffit de passer en revue trois régions : le Henan, central et développé, une région intermédiaire, le Sichuan, et une province périphérique, le Fujian, pour révéler la diversité des situations rencontrées.

Le Henan
Le Henan, une province développée et prospère :

  • s’étend sur 167 000 km² ;
  • est peuplé de 97,8 millions d’habitants, soit une densité de population 6 fois supérieure à celle de la France1.

Le budget transport de la province est modeste : 150 Mds de yuans (200 € par habitant). Néanmoins, l’année 2023 a vu la mise en service de :

  • 4 tronçons d’autoroutes d’une longueur totale de 312 km,
  • de 8 300 km de réseau de voies rapides.

En parallèle, 9 149 km de routes rurales ont été reconstruites. Il a été mis à l’honneur pour son projet pilote de routes rurales de haute qualité qui contribuent à la prospérité commune.

Une route rurale à proximité de la ville de Weihui (source : dahe.com)

Le Sichuan,
Dans la région sud-ouest de la Chine, le Sichuan, 485 000 km² et 83 millions d’habitants, a affecté 268,5 Mds de yuans (4 300 euros par personne) à la construction d’autoroutes et de voies navigables. En 2023, 624 km d’autoroutes ont été ouverts à la circulation, portant à 9 803 km le réseau qui le traverse et qui le classe au 3e rang dans le pays.2

Une section de l’autoroute Yibin-Xishui-Guizhou (source Xinhua)

En complément :

  • 3 400 km de grandes routes sont en construction,
  • 19 000 km de routes rurales ont été reconstruites.


Le Fujian
Face à Taïwan, le Fujian,

  • une région montagneuse de 121 000 km²,
  • 41,5 millions d’habitants
  • investit 102,2 Mds de yuans (313 € par habitant) pour le développement de son réseau routier3.
    C’est peu.

L’autoroute du Fujian n’est fréquentée que dans les sections côtières :

  • elle reste déserte ailleurs,
  • elle est conçue pour constituer une plateforme au service du développement économique et social et de de la revitalisation rurale,
  • et, en aval, pour désenclaver les villes et villages des montagnes.

Au cours de l’année 2023, la province a ouvert ou rénové 2 540 km de routes rurales et 1 713 villages ont été rendus accessibles par des routes « durcies ».

À la fin du 14e plan, la province aura investi plus de 43 Mds de yuans pour réaliser la section Fujian de la route nationale G228 qui épouse les côtes depuis la frontière nord-coréenne jusqu’au Vietnam.

Une vue de la route nationale express G 228 (source : Fujian province)

La Chine des confins
Plus on s’éloigne des régions industrialisées plus les déficiences s’accentuent. L’immense Xinjiang,

  • d’une superficie triple de la France,
  • ne revendique qu’à peine 230 000 km tous réseaux confondus jusqu’aux routes pavées4.

Le Tibet est dans un tel état de sous-développement que l’on se réjouit de pouvoir atteindre 200 nouveaux villages par des chemins goudronnés5.

Cette Chine des confins se voit traversée par des routes de l’extrême, dont la plus spectaculaire est la route G219 qui relie le Tibet au Xinjiang, longeant l’Himalaya. C’est une route frontalière stratégique qui s’étend sur 2 107 km et qui culmine à la limite entre le Tibet et le Xinjiang, après le dernier village tibétain de Tserang Daban, à 5 050 mètres d’altitude.

Edouard Valensi, Asie2

Sur la G219 le pont de Guozigou dans le Xinjiang (source : Xinhua)

  1. Henan highway https://www.chinahighway.com/article/65403379.html.
  2. Sichuan highway https://www.chinahighway.com/article/65403553.html.
  3. Fujiang highway https://www.chinahighway.com/article/65403479.html.
  4. Xinjiang highway https://www.chinahighway.com/article/65403745.html.
  5. Tibet highway  https://www.chinahighway.com/article/65403304.html.
    https://www.youtube.com/watch?v=3kyvlGl6HSo

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