Chine, Taïwan, Des éoliennes prêtes au combat

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Deux parcs géants d’éoliennes, dont le début de construction est annoncé pour 2025, sont attendus devant les côtes de la province de Guangdong. Leurs 2 700 éoliennes devraient produire plus de 30 % de la consommation d’électricité de la France. Ces parcs s’avançant jusqu’à 185 km des côtes, occupant partiellement l’entrée du détroit de Taïwan, vont donner à la Chine le moyen d’en suivre de près le trafic. Mais ce projet stratégique est porteur d’un fort risque d’affrontements aigus car les parcs s’enfoncent dans une zone économique exclusive de Taïwan que la Chine lui dispute. Il faudra faire preuve d’imagination pour trouver une solution pour le mener à bien sans encombre. Ne pourrait-elle pas être d’associer Taïwan, qui mise déjà sur l’éolien, au projet ?

FAITS


Le 20 octobre 2022, à la veille du 20e congrès du Parti communiste chinois, le 14e plan quinquennal pour le développement énergétique de la ville de Chaozhou a été dévoilé. Il prévoit d’ici 2025 l’ouverture de chantiers pour la réalisation de deux parcs éoliens offshore avec une capacité totale prévue de 43,3 GW. Ils seront implantés entre 75 et 185 km au large de la ville de Shantou, à l’entrée du détroit de Taïwan1.

ENJEUX


Le trafic transitant par le détroit de Taïwan est placé sous la surveillance étroite de la Chine qui contrôle l’entrée ouest du détroit.

COMMENTAIRES PROSPECTIFS


Cette information, dont une multitude de quotidiens en Occident et de sites sur la Toile se sont fait l’écho, est issue d’un modeste document, qui présente le projet énergétique de la ville de Chaozhou (潮州), une préfecture de 2,7 millions d’habitants à l’extrême est de la province du Guangdong.
 
C’est un plan qui annonce l’ouverture de deux immenses chantiers d’ici trois ans :

  • un parc de 10,8 GW sur le site Guangdong East Site 6,
  • un parc de 32,5GW sur le site Guangdong East Site 7.

Aucune date d’achèvement n’est donnée. Les parcs sont situés dans une région de vent forts où, selon le Global Wind Energy Atlas, la vitesse moyenne du vent à 100 mètres d’altitude dépasse généralement 9 mètres par seconde, et peut dépasser localement 11 mètres par seconde. Le rendement des turbines est donc maximal, environ 4 000 heures par an, soit 46 % du temps, ce qui est particulièrement élevé. Avec une capacité nominale de 43,3 GW et un rendement moyen d’au moins 40 %, ces parcs devraient produire plus de 150 TWH dans l’année, soit plus de 30 % de la consommation d’électricité de la France2.
 
C’est avant tout un projet stratégique qui est mis en avant. Car les 2 700 éoliennes qui vont être implantées à l’entrée du détroit de Taïwan vont donner à la Chine le moyen d’en suivre de près le trafic.
 
Un rien d’arithmétique donne à voir quel espace elles occuperont et comment elles se positionneront.

  • Sur le site de Guangdong East-6, pour atteindre la puissance de 10,8 gigawatts, il ne faudra pas moins que la puissance cumulée de 795 éoliennes de la dernière génération qui délivrent 13,6 mégawatts. Selon les normes couramment admises, chacune d’entre elles réclame un espace réservé d’un kilomètre carré. Le parc d’éoliennes occupera donc environ 800 km2, soit par exemple, un rectangle de 40 km de long sur 20 km de large.
  • Guangdong East-7 devrait couvrir au moins 2 200 km2, soit un rectangle de 110 km de long sur 20 de large.
  • Ces estimations se trouvent confirmées par les dimensions des deux parcs annoncées dans le plan :
  • le site 6 s’étendra au large du port de Shantou entre 72 et 160 km de la côte,
  • le site 7, s’étendra d’un point situé à 75 km de la côte jusqu’à 185 km3.
     
    Les parcs se trouveront largement déployés à l’entrée du détroit de Taïwan.
     
    À cela, rien à redire. Car l’Occident, et en particulier l’Europe, a fait sienne une lecture souple du droit de la mer. Selon les jurisprudences retenues, l’implantation d’une éolienne s’apparente à la création d’une île artificielle qui constitue un « simili-territoire », autour duquel peut être instituée une zone de sécurité pouvant aller jusqu’à 500 mètres dans le respect des rails de navigation. Néanmoins, les éoliennes étant situées à moins d’un kilomètre l’une de l’autre, le champ éolien d’une ferme va se trouver interdit à la navigation pour des motifs de sécurité. Il devient, de facto, une eau « territoriale » qui ne dit pas son nom.
  • La règlementation française est plus sévère encore : la circulation pour tout navire de taille inférieure à 25 mètres hors tout est autorisée, excepté dans un rayon de 50 mètres ; les navires à passagers de moins de 50 mètres peuvent s’approcher jusqu’à 500 mètres de la périphérie du parc. Les navires supérieurs à 50 mètres devront se maintenir à 2 nautiques (3,7 km) du parc.
  • Une jurisprudence acceptée bien qu’elle soit contraire à l’esprit du droit de la mer qui précise : « les îles artificielles, installations et ouvrages n’ont pas le statut d’îles. Ils n’ont pas de mer territoriale qui leur soit propre et leur présence n’a pas d’incidence sur la délimitation de la mer territoriale, de la zone économique exclusive ou du plateau continental. »

Les deux projets, une fois réalisés, induiront une forte contrainte pour la navigation internationale dans le détroit puisque navires de commerce et navires de guerre présentent de trop forts gabarits pour traverser les champs d’éoliennes. Pour autant, comme le stipule le droit de la mer, ils ne seront pas autorisés à forcer le passage, sachant qu’il existe une route de haute mer de commodité comparable du point de vue de la navigation permettant de contourner Taïwan le long de la côte est.

Il ne sera donc pas possible de s’opposer victorieusement, au nom de la liberté de passage, à un déploiement vertueux réalisé dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Sur ces étendues, ce sont des éoliennes massives qui seront installées avec des socles ou des plateformes conséquents. La mise en place de ces bouchons permettra d’installer sur les éoliennes de la périphérie des moyens automatiques d’acquisition de l’information. Ainsi devrait se constituer une base singulière qui donnera à la Chine une capacité de projection à demeure pour canaliser et contrôler en permanence le trafic du détroit.

Edouard Valensi, Asie21
edouard.valensi@gmail.com

  1. A city in China is planning an offshore wind farm so big that it could power all of Norway, electreck, 22/10/2022
  2. 14e plan quinquennal pour le développement énergétique de Chaozhou, chaozhou.gov.cn/attachment/0/520/520868/3818482.pdf
  3. Chinese City Plans 43.3 GW Offshore Wind Development, offshoreWIND.biz, 24/10/2022
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